Portrait 1 :"Les mains qui codent l'aurore"Portrait de Fatoumata Bâ, pionnière de la tech au Sénégal

Il y a des matins où l'Afrique se réinvente. Dakar s'éveille, et dans un bureau baigné de lumière atlantique, Fatoumata Bâ tape sur son clavier comme on tisse un pagne : avec méthode, beauté et vision. Cette femme n'a pas attendu qu'on lui ouvre les portes de la Silicon Valley. Elle les a créées, ici, sur le sol rouge de son continent.

Fatoumata est née dans un Sénégal où les femmes excellaient dans le commerce, la médecine, l'enseignement. Mais le numérique ? C'était un territoire masculin, disait-on. Un langage de chiffres et d'algorithmes réservé aux fils, pas aux filles. Elle a souri et continué d'avancer. À Sciences Po Paris, puis à Stanford, elle a appris que le pouvoir aujourd'hui se programme, ligne après ligne.

En 2010, elle fonde Janngo, une plateforme qui deviendra un pont entre l'Afrique et les investisseurs internationaux. Mais Fatoumata ne veut pas seulement lever des fonds. Elle veut transformer l'écosystème. Elle veut que les femmes africaines ne soient plus des spectatrices de la révolution numérique, mais ses architectes.

Son combat se déploie sur plusieurs fronts. Janngo Capital, son fonds d'investissement lancé en 2019, est le premier en Afrique à placer les critères de genre au cœur de sa stratégie : au moins 50% des entreprises financées doivent être dirigées par des femmes ou bénéficier majoritairement aux femmes. C'est radical. C'est nécessaire.

"Les femmes africaines représentent 58% des entrepreneurs du continent", rappelle-t-elle souvent dans les conférences internationales où on l'invite désormais. "Pourtant, elles ne reçoivent que 2% des financements. Ce n'est pas de la justice, c'est de l'économie basique : on laisse une fortune sur la table."

Les chiffres lui donnent raison. Selon un rapport de la Banque africaine de développement (2021), l'égalité de genre dans l'entrepreneuriat pourrait ajouter 316 milliards de dollars au PIB africain d'ici 2025. Fatoumata n'invoque pas seulement la morale ; elle brandit l'évidence mathématique.

Mais au-delà des statistiques, il y a les histoires. Ces jeunes développeuses formées par ses programmes. Ces start-ups qui transforment l'agriculture, la santé, l'éducation. Une application mobile qui connecte les fermières aux marchés. Une plateforme qui démocratise l'accès aux soins prénataux. Des lignes de code qui sauvent des vies.

Fatoumata Bâ ne code pas seule. Elle construit une communauté. En 2020, elle lance le fonds Janngo Capital Startup Fund avec 60 millions d'euros, devenant ainsi la femme noire à avoir levé le plus gros fonds de capital-risque en Afrique. Un record qui n'en est pas vraiment un pour elle – juste un commencement.

Son bureau à Dakar, elle l'appelle "le laboratoire". Les murs sont couverts de cartes d'Afrique, de photos de femmes entrepreneurs, de citations de Mariama Bâ et de Thomas Sankara. C'est un espace où le panafricanisme rencontre la technologie, où la tradition du cercle de parole se métamorphose en pitch de start-up.

"On me demande souvent pourquoi je suis revenue au Sénégal après Stanford", confie-t-elle. "Mais la vraie question, c'est : comment aurais-je pu rester ailleurs quand tout se joue ici, maintenant ?"

Elle parle de l'Afrique non comme d'un continent en retard, mais comme d'un laboratoire qui saute des étapes, qui n'a pas besoin de répéter les erreurs de l'Occident. Le mobile banking a explosé ici avant l'Europe. Les innovations en santé numérique rivalisent avec les meilleures du monde. L'avenir se programme en wolof, en swahili, en français, en anglais.

Fatoumata Bâ incarne cette génération de femmes africaines qui refuse la charité et exige le partenariat. Qui ne demande pas l'inclusion mais construit ses propres tables. Qui sait que le numérique n'est pas neutre – il porte les biais de ceux qui le créent. Alors elle s'assure que ces créateurs ressemblent à l'Afrique : plurielle, féminine, audacieuse.

Aujourd'hui, quand des jeunes filles à Thiès, à Ziguinchor, à Kaolack, allument leurs ordinateurs et se demandent si elles ont leur place dans ce monde de chiffres, quelqu'un peut leur répondre : "Regarde Fatoumata. Elle n'a pas demandé la permission. Elle a créé le chemin."

Les mains qui codent l'aurore ne s'arrêtent jamais. Elles tissent, pixel après pixel, une Afrique où le génie n'a ni genre ni frontière.

Références :

  • African Development Bank (2021), "Women Economic Empowerment in Africa"
  • Forbes Africa (2020), "Fatoumata Ba: Building Africa's Next Tech Giants"
  • Janngo Capital official reports (2019-2024)

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