Agriculture et entrepreneuriat des jeunes au Cameroun : défis et opportunités

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Claire Afoumba

« L’agriculture est la base de l’économie africaine, mais elle reste entre les mains d’une génération vieillissante », affirmait Kofi Annan (FAO, 2019). Cette observation s’applique pleinement au Cameroun, où plus de 60 % des exploitants agricoles ont aujourd’hui plus de 55 ans (INS Cameroun, 2023). Pourtant, dans le même temps, le pays est confronté à un chômage massif de sa jeunesse : plus de 60 % des jeunes diplômés n’accèdent pas à un emploi stable (World Bank, 2022). Ce contraste saisissant entre un secteur agricole vieillissant, pourtant stratégique, et une jeunesse marginalisée du marché du travail, révèle l’ampleur d’une fracture socio-économique profonde. 

Ce paradoxe doit être placé au cœur de la réflexion : alors que l’agriculture pourrait représenter un levier majeur pour l’insertion professionnelle des jeunes, elle peine à susciter leur adhésion. Plusieurs obstacles se dressent : image peu valorisée du métier d’agriculteur, difficultés d’accès à la terre et aux financements, manque de formation adaptée, ou encore cadre institutionnel peu incitatif. Pourtant, de nouvelles dynamiques émergent, notamment autour du numérique, de l’agroécologie, de l’innovation sociale et de l’entrepreneuriat rural. 

L’objectif de cet article est de proposer un état des lieux des défis et des opportunités liés à l’engagement des jeunes dans l’agriculture au Cameroun. Il s’agira aussi de mettre en lumière les politiques publiques, les dispositifs d’appui et les initiatives locales ou privées qui cherchent à inverser la tendance, en faisant de l’agriculture un secteur d’avenir et un moteur d’inclusion pour les nouvelles générations. 

 

1. Un secteur agricole stratégique mais vieillissant  

L’agriculture occupe historiquement une place stratégique dans l’économie camerounaise. Elle représentait 44 % du produit intérieur brut (PIB) en 2004, et bien qu’en recul, elle contribue encore à hauteur de 17,5 % du PIB en 2020 (World Bank, 2022). Plus de 60 % de la population active nationale en dépend directement ou indirectement pour ses moyens de subsistance (FAO, 2023). Ce poids économique et social en fait un pilier central du développement rural et de la sécurité alimentaire du pays. 

Pourtant, ce secteur vital est aujourd’hui confronté à un défi structurel majeur : le vieillissement de sa main-d’œuvre. La majorité des agriculteurs ont plus de 55 ans (INS Cameroun, 2023), et la relève générationnelle tarde à s’opérer. Dans un pays où près de 75 % de la population a moins de 35 ans (INS, 2022), la faible participation des jeunes dans l’agriculture interroge sur la durabilité du système productif rural. 

Parallèlement, le chômage des jeunes constitue une urgence nationale. En 2020, le taux de chômage des 18-35 ans tranche plus pertinente pour l’analyse du marché du travail s’élevait à environ 9,8 %, soit un niveau supérieur à la moyenne nationale estimée à 5,7 % (World Bank, 2022). De plus, plus de 35 % des jeunes actifs occupés (c’est-à-dire les jeunes en âge de travailler et en activité, qu’ils soient salariés, entrepreneurs ou travailleurs indépendants) se trouvent en situation de sous-emploi, notamment dans des activités informelles ou agricoles précaires, faiblement rémunérées et peu valorisées socialement (INS, 2023). 

Ce double constat importance stratégique du secteur agricole et faible attractivité pour les jeunes révèle un paradoxe inquiétant. Alors que l’agriculture pourrait être un levier d’insertion pour une jeunesse confrontée au manque d’emplois, elle reste peu investie, perçue comme un secteur de subsistance réservé aux personnes âgées ou peu qualifiées. Ce désengagement contribue à l’exode rural, à la dévitalisation des campagnes et à une dépendance accrue du pays aux importations alimentaires. 

 

2. Les freins socio-culturels et économiques à l’engagement des jeunes 

2.1. Une perception négative et persistante de l’agriculture  

Pour une large partie de la jeunesse camerounaise, en particulier les 18-35 ans, l’agriculture reste associée à un imaginaire de pénibilité, de pauvreté et de précarité rurale (AFD, 2020). Hérité d’une histoire coloniale et postcoloniale où les activités agricoles ont été reléguées à un statut de subsistance, ce stéréotype continue de façonner les aspirations des jeunes, qui perçoivent les métiers agricoles comme socialement dévalorisés. Cette représentation pousse de nombreux jeunes à fuir les zones rurales pour chercher des opportunités urbaines, souvent elles-mêmes saturées. Or, cette perception contraste avec le potentiel réel du secteur, qui demeure un pilier de la sécurité alimentaire nationale, et un vivier important d’opportunités dans l’agro-industrie, les chaînes de valeur, et l’agriculture numérique. 

2.2. Un accès limité et inégalitaire au foncier  

L’installation des jeunes de 18 à 35 ans dans le secteur agricole est fortement entravée par un accès difficile au foncier. Les règles coutumières d’héritage, encore prédominantes en milieu rural, favorisent généralement les aînés de la famille ou les hommes mariés, excluant de fait les jeunes, et en particulier les jeunes femmes (FAO, 2018 ; Nature, 2024). À cela s’ajoute la faiblesse des mécanismes de formalisation des droits fonciers : l’acquisition de titres de propriété reste longue, coûteuse, et hors de portée pour une majorité de jeunes non insérés économiquement. Résultat : une précarité juridique persistante et une insécurité foncière qui freinent l’investissement agricole et la projection à long terme. 

2.3. Un financement insuffisant et mal adapté   

Le manque d’accès aux ressources financières constitue un autre frein majeur à l’entrée des jeunes dans l’agriculture. Selon la Banque Africaine de Développement, plus de 70 % des jeunes entrepreneurs agricoles déclarent rencontrer d’importantes difficultés pour obtenir des crédits adaptés à leurs besoins (BAD, 2021). Les institutions financières jugent souvent les projets agricoles trop risqués, et exigent des garanties (titres fonciers, apports initiaux) que les jeunes ne peuvent fournir. Certes, plusieurs programmes gouvernementaux, ONG ou coopératives agricoles proposent des soutiens (subventions, microcrédits, incubateurs), mais ceux-ci demeurent limités en portée et difficilement accessibles à grande échelle. Ainsi, bien que le crédit ne soit pas le seul moyen de démarrer une activité agricole (les formes communautaires, les tontines ou les coopératives locales jouent un rôle non négligeable), un investissement conséquent reste nécessaire pour transformer une agriculture de subsistance en une activité rentable et durable. 

2.4. Des infrastructures rurales déficientes 

La faiblesse des infrastructures rurales reste un obstacle structurel à la rentabilité des exploitations agricoles. L’état dégradé des routes rurales complique l’acheminement des produits vers les marchés urbains, tandis que l’absence de systèmes de stockage, de conservation et de transformation entraîne des pertes post-récolte pouvant atteindre jusqu’à 20 % dans certaines filières, notamment les produits périssables comme les fruits et légumes (SNV, 2022). Ces pertes, combinées à la volatilité des prix et à l’insécurité des débouchés, alimentent la perception d’un secteur instable et peu attractif. Pour les jeunes porteurs de projets, ce contexte peu propice à la rentabilité constitue un frein majeur à l’installation, malgré les opportunités théoriques du secteur. 

3. Initiatives et politiques publiques favorables aux jeunes


Conscientes des enjeux, les autorités et leurs partenaires techniques et financiers ont lancé divers programmes visant à encourager l’engagement des jeunes. 

  • Le Programme de Promotion de l’Entrepreneuriat Agro-Pastoral des Jeunes (AEP-Youth), mis en œuvre entre 2015 et 2023 avec l’appui du FIDA, a permis de former des milliers de jeunes, de soutenir des incubateurs et d’octroyer des crédits à taux zéro (IFAD, 2023). 
  • En 2020, le Plan National Jeunesse Agricole (PNJA) a été lancé par le ministère de l’Agriculture. Il vise à faciliter l’accès au foncier, au financement et à la formation (MINADER, 2020). 
  • Plus récemment, la Banque mondiale a initié le programme Adaptive Safety Nets and Economic Inclusion (2025), qui propose des subventions allant de 10 000 à 20 000 USD pour financer les projets de 2 000 jeunes entrepreneurs agricoles, tout en accompagnant 65 000 jeunes urbains dans leur insertion professionnelle (World Bank, 2025). 

Ces initiatives, bien qu’encourageantes, doivent être consolidées et élargies pour atteindre un impact durable. 

 

4. L’innovation et l’esprit entrepreneurial : de nouvelles dynamiques


4.1. Former les jeunes aux métiers agricoles : lycées, universités et incubateurs 

Le développement d’une agriculture moderne et attractive passe nécessairement par la formation professionnelle et l’accompagnement des jeunes de 18 à 35 ans. Plusieurs initiatives publiques et universitaires ont vu le jour ces dernières années pour professionnaliser le secteur et renforcer les compétences entrepreneuriales. 

Le Lycée Technique Agricole de Yabassi, créé en 2016, propose une formation axée sur les techniques agricoles modernes, l’agriculture durable et l’entrepreneuriat rural. Il forme chaque année des cohortes de jeunes issus des milieux ruraux, avec pour objectif de les insérer durablement dans les chaînes de valeur agricole. 

À l’échelle universitaire, l’Université de Dschang a mis en place le Centre d’Appui à la Technologie et à l’Innovation de l’Université de Dschang (CATI²-UDs). Ce dispositif accompagne les porteurs de projets innovants en agriculture, en leur fournissant un appui technique, un encadrement académique, ainsi qu’un accès facilité aux réseaux professionnels (Tsafack Nanfosso, 2024). Ce centre permet également de lier la recherche appliquée aux besoins du terrain, tout en stimulant l’innovation technologique et sociale dans le secteur. 

4.2. Des figures d’entrepreneurs agricoles qui inspirent 

Au-delà des institutions, des parcours individuels incarnent un renouveau de l’agriculture camerounaise. Ces jeunes entrepreneurs revalorisent le métier d’agriculteur en alliant innovation, rentabilité et responsabilité sociale. 

• Roland Fomundam – Agriculture organique et entrepreneuriat éducatif 

Fondateur de GreenHouse Ventures, Roland Fomundam est l’une des figures emblématiques de l’agriculture durable au Cameroun. Son entreprise promeut l’usage de serres intelligentes, adaptées aux contraintes climatiques locales et accessibles aux petits exploitants. Il développe également des programmes de sensibilisation dans les lycées et universités pour encourager les jeunes à envisager l’agriculture comme un véritable choix de carrière. Selon lui, « cibler la jeunesse est le seul moyen d’assurer l’avenir de l’agriculture au Cameroun » (Fomundam, 2022). 

• Plateforme AgriTech à Douala – Entre innovation numérique et circuits courts 

À Douala, une jeune équipe d’agro-entrepreneurs a mis en place une plateforme numérique permettant de vendre directement des produits agricoles (manioc, maïs, fruits) aux supermarchés et restaurants, via des canaux comme WhatsApp et Facebook Business. Cette stratégie de vente directe supprime les intermédiaires, augmente les revenus des jeunes exploitants, et facilite l’intégration des circuits courts en milieu urbain (IFC, 2023). Cette initiative, encore en phase pilote, attire déjà l’attention d’investisseurs internationaux intéressés par les solutions agricoles numériques en Afrique. 

 

5. Opportunités de développement et perspectives


5.1. Une demande croissante en produits locaux et bio 

La croissance démographique et l’urbanisation rapide créent une demande accrue en denrées alimentaires, notamment en produits locaux et biologiques. Cela ouvre la voie à l’agroécologie, aux circuits courts et à la transformation agroalimentaire (FAO, 2023). 

5.2. Des projets collaboratifs et inclusifs 

Dans les zones urbaines et périurbaines, des projets d’agriculture collaborative voient le jour. Des jeunes exploitent collectivement des parcelles pour produire des légumes et fruits destinés à la consommation locale, souvent avec l’appui d’ONG et d’organisations internationales (OIF, 2022). Ces initiatives favorisent l’intégration sociale et la sécurité alimentaire tout en générant des revenus. 

5.3. L’intégration des enjeux de genre 

Les jeunes femmes restent confrontées à des obstacles spécifiques, notamment en matière d’accès à la terre et au crédit. Promouvoir l’égalité de genre dans les politiques agricoles constitue un impératif pour élargir la base d’entrepreneurs agricoles et renforcer l’inclusivité (Nature, 2024). 

 

Conclusion 

L’agriculture camerounaise se trouve à la croisée des chemins : secteur essentiel pour l’économie nationale, elle souffre néanmoins d’une faible attractivité auprès des jeunes. Vieillissement des exploitants, difficultés d’accès au foncier et au financement, infrastructures insuffisantes et stéréotypes socio-culturels constituent autant de freins à surmonter. 

Cependant, de nouvelles dynamiques positives émergent : politiques publiques de soutien, programmes de financement, initiatives privées innovantes, agriculture numérique et entrepreneuriat collaboratif. Ces signaux traduisent une volonté croissante de transformer l’agriculture en un moteur d’inclusion et de prospérité. 

Pour relever ce défi, plusieurs leviers sont essentiels : 

  • Moderniser les infrastructures rurales, 
  • Renforcer l’accès au foncier et au crédit, 
  • Développer la formation technique et entrepreneuriale, 
  • Promouvoir une image valorisante de l’agriculture, 
  • Intégrer pleinement les jeunes femmes dans la dynamique agricole. 

C’est seulement à travers une telle approche globale que l’agriculture pourra attirer et retenir la jeunesse camerounaise, garantissant ainsi un avenir durable, compétitif et inclusif. 

 

Bibliographie  

Agence Française de Développement (AFD). (2020). Étude sur la jeunesse rurale en Afrique. Paris : AFD. 

Annan, K. (2019). FAO Report on African Agriculture. Rome : FAO. 

Banque Africaine de Développement (BAD). (2021). Rapport sur l’entrepreneuriat agricole des jeunes en Afrique. Abidjan : BAD. 

FAO. (2018). Gestion foncière et jeunesse rurale au Cameroun. Rome : FAO. 

FAO. (2023). Tendances agroécologiques au Cameroun. Rome : FAO. 

  Fomundam, R. (2022). GreenHouse Ventures and Youth in Agriculture. Douala : GHV. 

GSMA. (2023). Agriculture mobile en Afrique. Rapport GSMA. Londres : GSMA. 

IFC. (2023). Digitalisation de la commercialisation agricole à Douala. Washington : IFC. 

IFAD. (2023). Impact Assessment: Youth Agro-Pastoral Entrepreneurship Promotion Programme (AEP-Youth). Rome : FIDA. 

INS Cameroun. (2023). Rapport sur l’emploi des jeunes au Cameroun. Yaoundé : INS. 

MINADER. (2020). Plan National Jeunesse Agricole. Yaoundé : Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural. 

MINPMEESA. (2024). Rapport Annuaire 2024 des PME au Cameroun. Yaoundé : MINPMEESA. 

Nature. (2024). Youth participation in bean value chains: Ghana and Cameroon. Humanities & Social Sciences Communications, 11(26). 

OIF. (2022). Programme d’appui aux jeunes entrepreneurs agricoles. Paris : Organisation Internationale de la Francophonie. 

SNV. (2022). Infrastructures rurales au Cameroun. Yaoundé : SNV. 

Tsafack Nanfosso, R. (2024). Université de Dschang et entrepreneuriat des jeunes. Yaoundé : UDs. 

World Bank. (2022). Cameroon Economic Update. Washington : World Bank. 

World Bank. (2025). Unlocking Cameroonian Youth Potential for More and Better Jobs. Washington : World Bank. 

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