Pour une université africaine qui prend soin de ses étudiants

Introduction

Dans de nombreux pays africains, la santé mentale demeure un territoire méconnu, où planent encore le poids du tabou, du silence et parfois de la honte. Pourtant, au cœur des campus universitaires, derrière les sourires courageux et les ambitions vibrantes, se cache une jeunesse qui vacille entre pressions académiques, défis socio-économiques et absence de soutien psychologique (UNESCO, 2020).

Les étudiants, symboles d'un avenir prometteur, évoluent trop souvent dans un environnement qui exige la réussite mais n'admet pas la fragilité. Cette contradiction nourrit une souffrance silencieuse, qui s'exprime tantôt par l'isolement, tantôt par le décrochage scolaire (Mukoma et Flisher, 2019). Il est temps d'ouvrir le dialogue sur cette réalité trop longtemps ignorée.

Une problématique systématiquement sous-estimée

Les systèmes éducatifs africains sont historiquement orientés vers la performance académique, la discipline et la résilience (UNESCO, 2020). Dans cette configuration, la santé mentale reste en marge des préoccupations institutionnelles. Peu de programmes universitaires l'intègrent dans leurs curricula, les centres d'écoute sont rares ou insuffisamment dotés, et les familles n'abordent le sujet qu'à voix basse, quand elles l'abordent (Union Africaine, 2022).

Pour beaucoup de personnes sur le continent, consulter un psychologue reste associé à la « folie », un stigmate hérité de conceptions traditionnelles et d'une méconnaissance des réalités médicales contemporaines (Baingana et Al'Absi, 2021). Ce préjugé tenace constitue un obstacle majeur à la prise en charge des troubles psychologiques chez les jeunes.

Le résultat de cette stigmatisation est prévisible : les étudiants préfèrent taire leur malaise, le dissimuler sous une façade de normalité, jusqu'à ce que leur souffrance devienne handicapante et affecte irrémédiablement leur parcours académique et personnel.

Tangou Ouali, étudiant en philosophie à l'Université Joseph Ki-Zerbo au Burkina Faso, témoigne de cette réalité avec lucidité : « La question de la santé mentale est très mal cernée dans nos sociétés. Même quand tu as des soucis et que tu exprimes le souhait de consulter un psychologue, on te demande si tu as contracté la folie. » Ce témoignage illustre parfaitement le fossé qui existe entre les besoins réels des étudiants et la perception sociale de la santé mentale en Afrique.

L'étau des pressions économiques et des exigences sociales

Aux résistances culturelles s'ajoute une pression socio-économique considérable. Dans la plupart des pays africains, la majorité des étudiants proviennent de familles où l'éducation représente un investissement crucial, souvent financé au prix de sacrifices importants (UNESCO, 2020). Les parents vendent parfois des terres, empruntent de l'argent ou renoncent à leurs propres besoins pour permettre à leurs enfants d'accéder à l'enseignement supérieur.

Cette attente de réussite crée une charge émotionnelle considérable pour les jeunes. Ne pas échouer devient une forme de survie, non seulement pour l'étudiant lui-même, mais pour l'ensemble de sa famille qui compte sur lui pour améliorer les conditions de vie du foyer. Le chômage massif des diplômés, la précarité des conditions universitaires, l'instabilité politique et l'insécurité dans certaines régions amplifient ce sentiment d'urgence permanente, alimentant un stress chronique et une anxiété généralisée (OMS, 2022).

Les observations menées dans différentes universités du continent révèlent des tendances récurrentes et préoccupantes. On constate notamment une fatigue intellectuelle et physique généralisée en période d'examens, accompagnée d'un recours massif aux stimulants tels que le café, les boissons énergisantes et parfois même des substances illicites. La fréquentation des services de santé universitaire reste faible, et l'on déplore l'absence d'espaces de parole, formels ou informels, permettant aux étudiants de libérer la pression accumulée.

Un sentiment d'abandon généralisé

Selon les travaux de Mukoma et Flisher (2019), dans plusieurs universités ouest-africaines, les étudiants témoignent d'un profond sentiment d'abandon. Les enseignants, souvent débordés par des effectifs pléthoriques, peinent à accorder une attention individualisée à leurs étudiants. Les administrations universitaires restent peu sensibilisées aux enjeux du bien-être psychologique, et l'on observe une absence quasi totale d'approches holistiques intégrant la dimension mentale dans l'accompagnement des étudiants.

L'Afrique est un continent peuplé majoritairement de jeunes, et les étudiants en constituent la locomotive créative, technique et politique. Cette jeunesse, qui incarne l'espoir du continent, avance pourtant avec un bagage émotionnel fragile que personne ne semble prêt à reconnaître.

La quête de réussite, légitime et même vitale dans le contexte africain, se transforme parfois en véritable prison mentale. D'un côté, l'étudiant aspire à honorer sa famille, à réussir professionnellement et à se construire un avenir digne. De l'autre, il porte des fardeaux émotionnels qu'il ne sait pas toujours nommer : anxiété, épuisement professionnel, stress post-traumatique, troubles du sommeil ou difficultés de concentration (OMS, 2022).

Ce contraste saisissant entre ambition et vulnérabilité devient alors un terrain fertile pour les crises psychologiques, qui peuvent se manifester de manière brutale et inattendue, compromettant des années d'efforts et de sacrifices.

Vers des solutions concrètes : une approche à construire collectivement

Face à cette crise silencieuse, il devient urgent d'agir à plusieurs niveaux. La première piste consiste à intégrer pleinement la santé mentale dans les politiques éducatives africaines. Cela passe par des campagnes de sensibilisation dans les universités, la formation des encadreurs pédagogiques aux premiers secours psychologiques, et l'introduction de modules dédiés à la santé mentale dans les établissements dès le cycle secondaire.

La création de centres de soutien psychologique accessibles au sein des campus constitue une autre priorité. Ces structures doivent être dotées de professionnels qualifiés, formés aux réalités culturelles locales, et garantir une confidentialité absolue pour rassurer les étudiants qui hésitent encore à franchir le pas.

La promotion de la parole et de la prévention représente également un axe fondamental. Les universités peuvent encourager la création de groupes de discussion entre pairs, organiser des ateliers de gestion du stress et soutenir l'émergence de clubs dédiés au bien-être étudiant. Ces espaces informels permettent souvent de désamorcer des situations critiques avant qu'elles ne dégénèrent.

L'implication des médias et des journalistes dans la vulgarisation des enjeux psychologiques s'avère tout aussi cruciale. En traitant régulièrement de ces sujets avec sérieux et sans sensationnalisme, les médias africains peuvent contribuer à briser le tabou et à normaliser le recours à l'aide psychologique.

Enfin, il convient de valoriser les traditions positives présentes dans les cultures africaines, notamment la solidarité communautaire, les espaces de dialogue intergénérationnel et les pratiques locales de cohésion sociale. Ces ressources culturelles peuvent être mobilisées de manière innovante pour créer des dispositifs de soutien adaptés aux réalités du continent.

Conclusion

L'avenir des étudiants africains dépend autant de leurs performances académiques que de leur équilibre mental. Reconnaître la santé psychologique comme un pilier de la réussite n'est plus un luxe réservé aux pays développés : c'est une nécessité stratégique, humaine et sociale pour le continent africain.

Il est temps que les institutions universitaires, les gouvernements, les familles et les étudiants eux-mêmes s'emparent de cette question avec courage et détermination. Car derrière chaque diplôme se cache un parcours humain, avec ses forces et ses fragilités. Accompagner cette jeunesse dans toutes ses dimensions, c'est investir véritablement dans l'avenir de l'Afrique.


Références

Baingana, F. et Al'Absi, M. (2021). Mental Health in Africa: Issues, Challenges and Opportunities. Springer.

Mukoma, W. et Flisher, A.J. (2019). Student Mental Health in Sub-Saharan Africa: A Review. African Journal of Psychiatry, 22(3), 45-58.

Organisation mondiale de la santé (2022). Mental Health Atlas 2022. Genève : OMS.

UNESCO (2020). Rapport sur l'enseignement supérieur en Afrique : défis et perspectives. Paris : UNESCO.

Union Africaine (2022). Cadre de politique pour la santé mentale et le bien-être en Afrique. Addis-Abeba : Commission de l'Union Africaine.

Submit Your Comment