Agriculture de contre saison : défis et enjeux pour la production et la consommation des produits frais
Introduction
Dans les villes africaines, y compris au Cameroun, il est désormais courant de (re)trouver dans les marchés les produits tels que le maïs frais, les oranges, les pastèques et d'autres produits frais durant toute l’année. Ceci est dû à la généralisation de l’agriculture de contre saison, qui consiste ici à la production de végétaux (fruits et légumes) en dehors de la saison normale. Bien que sa pratique contribue à maintenir la continuité de l’approvisionnement alimentaire des marchés et de garantir les revenus des producteurs (Badabaté et al., 2012), il est important de reconnaître les risques associés à cette pratique. Les consommateurs et les autorités sont particulièrement invités à plus de vigilance sur ce sujet, pour des raisons de santé publique.
Forte utilisation de produits chimiques
La culture de contre-saison nécessite un traitement intensif et plus appuyé. Pendant cette période, les sols ne sont pas dans des conditions optimales pour une production idéale. Pour compenser cette difficulté, les agriculteurs ont souvent recours à l'utilisation d'engrais, de pesticides et d'autres produits chimiques pour nourrir le sol et lutter contre les ravageurs qui prolifèrent durant ces périodes. Plus les conditions sont difficiles, plus l'utilisation de produits phytosanitaires est importante. Le manque d'eau, d'azote et/ou les dommages causés par les maladies et les ravageurs sont parmi les principaux problèmes rencontrés dans la culture de contre-saison (Yehouessi, 2012). Dans de telles circonstances, la qualité des récoltes est incontestablement affectée. D'une part, les qualités nutritionnelles sont réduites, et d'autre part, les produits conservent des résidus chimiques qui peuvent s'accumuler dans l'organisme et entraîner des problèmes de santé ultérieurs.
Au-delà de la production, les défis liés à la conservation des produits de contre-saison sont également omniprésents dans un environnement intertropical de plus en plus chaud, avec des difficultés énergétiques importants. Ces défis comprennent l'altération de la qualité des denrées et l'utilisation produits chimiques potentiellement néfastes pour l’homme et son environnement. D’une part, il est important de noter que certains nutriments se dégradent et/ou sont perdus lors des processus de transport et de traitement nécessaires pour prolonger la durée de vie des produits. D’autre part, afin de ralentir la dégradation des aliments frais, il est courant d'utiliser des produits chimiques tels que les conservateurs alimentaires, les antioxydants et les agents antimicrobiens. Cependant, il est essentiel que l'utilisation d'additifs soit réglementée et qu'elle respecte les normes de sécurité alimentaire en vigueur. Malheureusement, dans les pays subsahariens, l'efficacité et l'efficience des institutions chargées de réglementer ces pratiques sont souvent limitées. Par conséquent, les producteurs et les commerçants opèrent souvent sans un contrôle adéquat, entraînant une maîtrise insuffisante de la qualité des produits utilisés avec les conséquences y afférentes.
Face à la gravité de cette situation, des autorités administratives prennent parfois des mesures fulgurantes, mais insuffisantes pour y remédier. Le préfet du département de la Menoua dans la région de l'Ouest s’est illustré à ce propos. En effet, en juillet 2023, il a publié un communiqué mettant en garde contre les « commerçants véreux qui utilisent du formol pour faire mûrir le plantain, les avocats, les oranges, les mangues, les pastèques et autres produits alimentaires[1]». Il a également annoncé des inspections surprises sur les marchés afin de saisir les marchandises impropres à la consommation. Le préfet a, en outre, appelé les consommateurs à être vigilants et à signaler les commerçants malhonnêtes aux autorités compétentes. Il a par ailleurs souligné que « l’utilisation du formol sur les denrées alimentaires porte une atteinte grave à la santé publique ». En effet, en plus d’être cancérigène, le formol a également des conséquences néfastes sur le système pulmonaire, la peau et les yeux. L'action administrative en question a permis d'attirer l'attention des consommateurs et des professionnels sur des pratiques alimentaires et commerciales jugées peu recommandables. Cependant, il est important de noter que les considérations économiques ne doivent pas être négligées dans cette problématique.
Couts et prix élevés
Les cultures de contre-saison requièrent des ressources et une attention accrue afin d'assurer une récolte de qualité. L’utilisation excessive de produits chimiques (mentionnée précédemment) engendre des dépenses qui doivent être rentabilisées. Les produits frais sont plus coûteux en contre saison en raison d'une disponibilité restreinte sur les marchés tant sur le plan qualitatif que quantitatif. Cette situation entraîne une diminution de l'offre face à une demande plus ou moins stable sur le marché. Dans un contexte où la demande reste plus ou moins élevée, les commerçants recourent souvent à l'importation de certains produits pour maintenir leurs activités, notamment pour des produits tels que les oranges, les tomates, le chou, les pastèques, les ananas, le maïs frais et autres légumes, etc. Tous ces produits sont fragiles, et posent de sérieuses question de conservation.
De plus, la conservation des produits frais de contre-saison pose un défi majeur qui influe sur les prix. Dans les zones tropicales, il est difficile de conserver ces produits en bon état en raison de leur fragilité et de leur périssabilité, même lorsque les bassins de production sont locaux. Dans un contexte de coupures électriques fréquentes et de moyens de conservation insuffisants, les entrepreneurs en Afrique sont parfois tentés de recourir à des pratiques clandestines pour conserver leurs produits frais. Malheureusement, ces techniques de stockage peu scrupuleuses peuvent avoir des conséquences désastreuses, tant pour la qualité des produits que pour la santé des consommateurs qui ne sont pas en mesure de vérifier l'origine et les conditions de conservation des produits achetés. La situation est d'autant plus préoccupante que les coupures de courant fréquentes, rendent difficile la conservation des denrées alimentaires périssables. Les consommateurs se trouvent ainsi confrontés à des risques pour leur santé, et les entrepreneurs à une pression économique qui peut les inciter à prendre des risques inappropriés, au détriment de la qualité des produits.
Vers une agriculture plus durable, un État et des consommateurs plus engagés
Chez différents acteurs, des actions peuvent être prises ou soutenue. Premièrement, chez les agriculteurs, des pratiques agricoles, plus écologiques, sont souvent privilégiés. Un peu bousculés par les prix des engrais qui ont explosés en 2022, les agriculteurs se sont retournés vers les solutions alternatives. C’est ainsi que l’utilisation des fientes s’est davantage imposée. Ces fientes sont produites à partir d’excréments de poules, de porcs ou de bœufs, etc. dans les fermes. Pour les agriculteurs, l’utilisation de ces « engrais naturels » limite considérablement la quantité d’engrais chimiques. Par ailleurs, d’autres techniques et pratiques dites traditionnelles s’impliquent davantage dans une agriculture en pleine transition. La combinaison des méthodes et pratiques traditionnelles et modernes s’avère particulièrement intéressant pour une agriculture qui se veut plus écologique et plus durable pour les sols, les agriculteurs ainsi que les consommateurs.
Deuxièmement, il revient aux populations d’être des « consom’acteur » (Gordon 2019), donc des consommateurs engagés qui s’intéressent à la qualité des produits qu’ils achètent et consomment, ainsi qu’à leur origine. Ceci consiste, surtout en période de contre saison, d’apprécier l’origine et la qualité des marchandises qui l’intéresse. Dans la mesure du possible, il est recommandé de limiter la consommation des produits de contre saison, surtout dans un contexte marqué par la faiblesse des institutions chargées d’assurer la (bonne) qualité des productions sur les marchés. Aussi, recourir aux produits alternatifs est une opération tout aussi intéressante. Par exemple, en février, à défaut du maïs frais cultivé en pleine saison sèche, les tubercules comme la patate, ou l’igname sont autant d’alternatives plus adaptées pour la période.
Enfin, pour les autorités, ils surtout question de sérieusement envisager des mécanismes qui permettent de contrôler la qualité des produits qui entre sur le marché national afin de protéger les populations d’éventuelles menaces liées à la consommation de produits dont la qualité n’est pas maitrisée. Au regard de l’énorme enjeu de santé publique dont il est ici question, il est urgent pour les autorités compétentes dans les services centraux et locaux de renforcer financièrement, techniquement et moralement les structures assurant la qualité des produits agricoles « de la houe à la fourchette ».
Conclusion
En conclusion, la production de produits frais de contre-saison soulève des problématiques socioéconomiques qui concernent à la fois les producteurs, les consommateurs et l'État. Bien que ces cultures permettent d'approvisionner les marchés et de dynamiser l'économie, il est important de rester vigilant face aux pratiques douteuses qui peuvent être adoptées par certains acteurs peu scrupuleux dans un contexte d'instabilité institutionnelle. Ensemble, ces différents acteurs ont un rôle à jouer, chacun à son niveau, pour soutenir une agriculture plus écologique et durable, ainsi qu'une sécurité alimentaire accrue pour des populations déjà vulnérables.
Références
ACTUCAMEROUN (2023), « Le sous-préfet de l’arrondissement de Dschang lance la traque au formol, consulté le 20 janvier 2024, https://actucameroun.com/2023/07/11/dschang-le-sous-prefet-en-guerre-contre-lutilisation-du-formol-par-des-commercants-de-denrees-alimentaires/
BADABATÉ Diwediga, et al (2012), « agriculture de contre saison sur les berges de l’Oti et ses affluents », African Crop Science Journal, vol. 20, pp. 613-624.
DORDIN Aurelie, Bouchard Mathilde et Olivier Valérie (2019), « Consom’acteur », in Dictionnaire d’agroécologie, https://dicoagroecologie.fr/dictionnaire/consomacteur/.
MINADER, Direction de la Règlementation et du contrôle de qualité des intrants et des produits agricoles, https://www.minader.cm/index.php/direction-de-la-reglementation-et-du-controle-de-qualite-drcq/
NGUILI Lyse Davina (2023), « Dschang, le formol dans les aliments », Échos Santé, consulté le 20 janvier 2024, https://echosante.info/dschang-le-formol-dans-les-aliments/.
YEHOUESSI Wilfried (2012), « Étude des performances agronomiques de la culture de tomate de contre saison dans la zone côtière du sud-Bénin (Cotonou - Pahou - grand-Popo) », Thèse de doctorat, Université d'Abomey-Calavi.
Pour aller plus loin
BADDACHE F. (2010), « Passer de la consommation à la consom’action », In : Baddache F. Le développement durable, Paris, Éditions Eyrolles, 2006, pp. 139-140.
PARODI G. (2007), « Acheter pour s’engager », Cahiers de recherche sociologique, 43. pp 37-46. https://doi.org/10.7202/1002477ar
AOULOU Y. « L’engouement des maraichers africains pour les fruits de contre saison », Grain des sel, n°5, mars 1997.
OUEDRAOGO M. (2020), « Émergence de la culture de contre saison dans la région du centre du Burkina Faso : Une alternative pour la sécurité alimentaire ? », Thèse de doctorat, Montpellier 3.
[1] https://actucameroun.com/2023/07/11/dschang-le-sous-prefet-en-guerre-contre-lutilisation-du-formol-par-des-commercants-de-denrees-alimentaires/