Sociétés africaines et troubles mentaux. Discours, représentations sociales, perspectives de l’inclusion : l’exemple de Yaoundé et Douala au Cameroun
La santé mentale est un aspect crucial du bien-être humain et un droit fondamental, mais en Afrique, les personnes atteintes de troubles mentaux et du comportement (TMC) rencontrent d'importants obstacles pour accéder aux soins et subissent une stigmatisation. Les enfants sont particulièrement vulnérables, avec environ 10 % d'entre eux souffrant de divers troubles mentaux, tels que l'anxiété, la dépression et les troubles neurodéveloppementaux. Toutefois, les services de santé mentale sur le continent sont sévèrement sous-financés, et au Cameroun, la part du budget allouée à la santé reste entre 5,5 % et 7 % depuis 2011, bien en deçà des 15 % recommandés par la déclaration d'Abuja.
La stigmatisation des troubles mentaux aggrave la situation, empêchant l'accès aux soins et affectant les individus, les familles, et les communautés. Une étude réalisée à Yaoundé et Douala, basée sur des entretiens avec des parents, proches, et professionnels de santé, révèle les perceptions sociales des TMC, les difficultés d'inclusion des enfants atteints et les possibilités d'amélioration. Les analyses s'appuient sur la théorie des représentations sociales de Serge Moscovici, visant à éclairer les discours sur les TMC, les défis de l'inclusion, et les perspectives pour améliorer l'intégration de ces enfants dans la société, ce qui pourrait avoir un impact positif sur le développement du pays.
1. Les troubles mentaux et du comportement au Cameroun : Discours et représentations.
Les troubles mentaux se caractérisent par une altération majeure de l'état cognitif, de la régulation des émotions ou du comportement, souvent accompagnée de détresse ou de déficiences fonctionnelles. Au Cameroun, la stigmatisation liée aux troubles mentaux est exacerbée par les croyances culturelles et religieuses, qui les perçoivent souvent comme une malédiction ou une punition. Cela conduit à l'exclusion des personnes atteintes et de leurs familles, manifestée par le rejet, l'isolement, et la négligence des professionnels de santé.
L'ignorance et le manque de sensibilisation aggravent ces stigmatisations, avec des croyances selon lesquelles ces troubles seraient dus à la sorcellerie, nécessitant une "délivrance spirituelle". Cette perception négative a des conséquences graves, comme l'abandon ou l'enchaînement d'enfants atteints de troubles mentaux pour les "protéger". Le manque de surveillance appropriée expose ces enfants à des dangers, comme être blessés ou maltraités par des personnes qui ne comprennent pas leur condition. Ces représentations sociales négatives et les difficultés d'inclusion socio-médicale exacerbent la situation des personnes atteintes de troubles mentaux et du comportement au Cameroun, les marginalisant davantage.
2. Difficultés liées à l’inclusion des enfants atteints de troubles mentaux et du comportement
Les difficultés rencontrées par les enfants atteints de troubles mentaux et comportementaux (TMC) sont diverses, ainsi que les défis auxquels font face leurs parents dans les contextes social, scolaire et médical.
Au niveau social, la stigmatisation est un problème majeur. Les enfants atteints de TMC sont souvent perçus comme "anormaux", ce qui entraîne une marginalisation non seulement des enfants mais aussi de leurs familles. Les parents peuvent être isolés socialement, avec des membres de la famille qui les rejettent ou les blâment pour l'état de l'enfant, parfois en raison de croyances mystiques ou de mythes sur le handicap. Certains parents témoignent de l'isolement et des préjugés qu'ils subissent, et de la difficulté à obtenir un soutien adéquat. Les enfants eux-mêmes ressentent cette exclusion, ce qui peut les pousser à se replier sur eux-mêmes et à développer des sentiments de rejet.
Au niveau scolaire, les défis incluent l'inadéquation des structures éducatives. Les écoles inclusives et spécialisées au Cameroun ne sont souvent pas équipées pour répondre aux besoins spécifiques des enfants atteints de TMC. Les enseignants manquent de formation spécialisée, et les infrastructures ne sont pas adaptées. Les écoles spécialisées, bien qu'offrant une prise en charge plus adaptée, restent coûteuses, limitant leur accès à de nombreuses familles. Les parents se retrouvent souvent contraints de choisir des écoles inclusives moins onéreuses mais inadaptées, compromettant ainsi l'éducation et l'intégration de leurs enfants.
Au niveau médical, bien que la législation camerounaise prévoie certaines aides pour les personnes handicapées, les parents d'enfants atteints de TMC rencontrent de nombreuses difficultés. L'accès aux soins et aux spécialistes est limité, et les parents subissent un stress psychologique intense, se sentant souvent culpabilisés et isolés. Les coûts élevés des soins spécialisés, l'absence d'une prise en charge précoce et l'insuffisance des structures adaptées aggravent ces défis.
3. Perspectives d’inclusion et impact dans le développement du Cameroun
En Afrique, les personnes atteintes d’handicap en général et de troubles mentaux et du comportement en particulier, sont souvent exclues du développement en Afrique. Contrairement aux perceptions négatives, certaines cultures les voient comme des bénédictions contribuant au développement. Par exemple, dans les pays développés, les jeux nationaux pour handicapés favorisent l'inclusion et le développement personnel. Selon le Fonds International du Développement Agricole (FIDA), une personne sur huit est handicapée, avec une concentration élevée dans les pays en développement, où elles sont plus vulnérables à la pauvreté. Les obstacles incluent la discrimination et l'inaccessibilité des infrastructures, limitant leur participation à la société et à l'économie.
Dans les zones rurales, ces défis sont exacerbés, réduisant l'accès à l'éducation, à l'emploi et aux soins de santé. Il est crucial de garantir l'équité et d'intégrer les personnes handicapées dans les efforts de développement durable. Thomas Stelzer, de l'ONU, souligne l'importance de la coopération internationale pour améliorer les conditions de vie des personnes handicapées, en particulier en facilitant l'accès à l'emploi. L'inclusion économique et sociale est essentielle pour réduire la pauvreté parmi cette population.
En Afrique, des initiatives commencent à émerger pour favoriser l'inclusion, mais le rythme et la profondeur du changement restent insuffisants. Il est impératif de mettre en place des politiques structurales pour intégrer pleinement les personnes handicapées dans le développement de l'Afrique. La sensibilisation, la déstigmatisation et l'amélioration de l'accès aux soins de santé mentale sont des étapes cruciales pour créer un environnement inclusif.
Les enfants autistes, par exemple, peuvent apporter des contributions significatives dans divers domaines comme les arts, la culture, la technologie et la recherche. Des organisations au Kenya, en Afrique du Sud et au Nigeria œuvrent pour améliorer l'éducation, les compétences sociales et l'intégration professionnelle des personnes autistes. Ces initiatives montrent qu'en investissant dans les enfants autistes et en leur permettant de réaliser leur potentiel, nous pouvons enrichir la société et promouvoir une inclusion équitable.
Conclusion
L'insertion des personnes atteintes de troubles mentaux et du comportement reste un défi, tant dans les pays développés qu'en Afrique. Dans les pays développés, des efforts sont faits pour inclure ces personnes dans la société à travers des programmes scolaires adaptés, des formations professionnelles et des événements sportifs nationaux. Ces initiatives visent à faciliter leur participation socio-professionnelle et à contribuer au développement de la société.
En revanche, en Afrique et particulièrement au Cameroun, l'inclusion de ces personnes est encore problématique. Le mysticisme entourant les troubles mentaux et l'indifférence des politiques publiques entravent cette inclusion. Exclure ces individus les transforme en fardeaux pour leurs familles et la société, limitant ainsi la capacité des proches à participer pleinement à la vie socio-économique.
Le développement de l'Afrique dépend de l'inclusion de tous ses citoyens, indépendamment de leurs différences. Il est crucial de promouvoir une prise en charge précoce et une éducation spécialisée pour les personnes atteintes de troubles mentaux, afin de créer une société inclusive et participative, où chacun peut contribuer au progrès du continent.
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