Blog L'étudiant Africain

Chronique Vie de Campus : Entre deux mondes : étudiant, fils et pilier de famille

Rédigé par Christopher Somda | Nov 24, 2025 9:54:40 AM

Ce matin encore, le téléphone a vibré au fond de ma poche, au milieu du brouhaha du campus. 
“Mon fils, comment tu vas ?” La voix de ma mère. Toujours la même douceur, mais je sens derrière ses mots la lourdeur des soucis. 
Je réponds vite, avec un ton rassurant. Parce qu’ici, à Ouagadougou, je ne suis pas seulement un étudiant : je suis un espoir, un pilier, un revenu en attente. 

Je viens d’un petit village où le soleil se couche sur des champs encore pleins de promesses. 
Là-bas, tout le monde pense que ma vie, ici, c’est le succès. 
Ils disent : “Il est à l’université, notre fils !” 
Mais personne ne voit mes soirs de faim, mes nuits blanches à réviser à la lampe torche quand l’électricité saute, ou mes matins sans motivation. 
Personne ne sait que parfois, je ferme les yeux en classe, non pas parce que je m’ennuie, mais parce que je suis épuisé. 

Dans la cité universitaire, on plaisante, on rit fort, mais chacun cache ses tempêtes. 
Moi, je souris pour ne pas inquiéter. 
Je poste des photos de mes cahiers bien rangés, d’un café au coin du bureau, comme si tout allait bien. 
Mais derrière chaque photo, il y a un appel manqué du village, une demande d’argent, une responsabilité de plus. 
Je vis entre deux mondes : celui du campus et celui du foyer. 
Et souvent, ma tête ne sait plus où donner du sens. 

Parfois, je me déteste d’être fatigué. 
Je me dis : Tu n’as pas le droit de flancher. Ils comptent sur toi. 
Alors je serre les dents, je bosse, je remplace les repas par du silence. 
Mais le silence finit par peser. 
Un soir, après un examen raté faute de concentration, j’ai craqué. 
Pas de cris, pas de larmes bruyantes : juste une envie de tout arrêter. 
J’ai marché longtemps dans la cour de l’université, sous les lampadaires. 
J’avais envie de disparaître un moment, d’oublier le mot “réussir”. 

C’est ce soir-là qu’un ami m’a tendu une main. 
Il m’a écouté sans juger. 
Il m’a dit : “Tu ne peux pas porter deux mondes tout seul. Respire, frère.” 
Ces mots simples ont tout changé. 
J’ai compris que parler ne diminue pas la force. 
Au contraire, ça la renouvelle. 

Aujourd’hui encore, les appels du village continuent. 
Les attentes aussi. 
Mais j’apprends à équilibrer. 
À dire non sans culpabilité, à dire ça ne va pas sans honte. 
Je reste debout, entre deux mondes : celui des rêves et celui des devoirs, avec la conviction que ma réussite n’aura de sens que si j’y garde ma paix intérieure. 

Parce qu’avant d’être un espoir pour les autres, je dois être vivant pour moi-même.