Blog L'étudiant Africain

Hommage au Professeur Mbye Cham

Rédigé par Linda Silim Moundene | Sep 13, 2025 2:48:32 AM

« Quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. » Cette citation de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ reflète douloureusement la perte immense que traverse aujourd’hui le monde de la recherche africaine avec l’annonce du décès du Professeur Mbye Cham.

Originaire de Gambie, le Pr. Cham a consacré plus d’un demi-siècle aux Études Africaines, avec une spécialisation particulière dans le cinéma africain. Arrivé à l’Université Howard en 1980, il y a servi comme professeur et a également occupé les fonctions de chef du département d'Études Africaines. 

Une vie consacrée à la recherche et au rayonnement des cultures africaines

Les recherches du Pr. Cham ont exploré de multiples facettes de la culture africaine : oralité, linguistique, littérature moderne, cinéma et arts visuels. Passionné de cinéma, il fut non seulement un critique reconnu, mais aussi un acteur central dans l'organisation de festivals de cinéma africain, notamment le FESPACO de Ouagadougou, où sa présence et son expertise ont marqué plusieurs générations de cinéastes et de chercheurs.

Une rencontre déterminante

Ma première rencontre avec le Pr. Cham date de 2021, alors que je cherchais un programme doctoral. À ce moment-là, je venais de France et ignorais ce qu’était un HBCU (Historically Black College and University). Après une discussion avec lui, ma décision fut prise : j’irai à Howard University, cette université mythique où s’entremêlent l’histoire afro-diasporique et l’histoire africaine.

Je me souviens encore de ses mots réconfortants : « Ici, c’est la maison. » Cette phrase résumait toute sa vision : faire d’Howard un lieu d’ancrage, d’échanges et d’appartenance pour les Africains et les Afro-descendants.

Un pédagogue visionnaire

Dans sa classe, j’ai redécouvert les auteurs africains sous un nouveau regard. Il m’a appris à aimer leur africanité, leur authenticité, et à comprendre la manière dont leurs écrits s’inscrivaient dans le tissu des cultures africaines.

Avec lui, j’ai découvert les grands débats sur la linguistique africaine, notamment ceux opposant Ngugi wa Thiong’o et Chinua Achebe. Nous avons longuement discuté du concept de diglossie, des tensions entre langues coloniales et langues africaines, et de la manière dont les nouvelles générations vivent et réinventent ce rapport linguistique.

Héritage et mémoire

Le Pr. Cham laisse derrière lui un héritage immense, une œuvre académique qui continuera d’inspirer les chercheurs, mais surtout une empreinte humaine inoubliable pour ses étudiants et collègues.

Son enseignement allait bien au-delà des cours magistraux : il éveillait des consciences, il formait des passeurs de savoir, il créait des ponts entre l'Afrique et sa diaspora.

Aujourd’hui, en lui rendant hommage, nous ne pleurons pas seulement la disparition d’un grand intellectuel, mais aussi celle d’un maître, d’un mentor et d’un repère. Son nom, son œuvre et son esprit continueront à résonner dans chaque espace où l’Afrique se raconte et se pense.

 

Bibliographie succincte

Voici quelques-unes de ses publications significatives qui témoignent de son impact académique :

  • Blackframes: Critical Perspectives on Black Independent Cinema, co-éditeur avec Claire Andrade-Watkins, MIT Press, 1988. 

  • EX-ILES: Essays on Caribbean Cinema, éditeur, Africa World Press, 1992. 

  • African Experiences of Cinema, co-éditeur avec Ishaq Imruh Bakari, British Film Institute (BFI), 1996.

  • “African Cinema in the Nineties”, article dans African Studies Quarterly, vol. 2, issue 1, 1998.