Le Cameroun a adopté plusieurs textes internationaux garantissant l’égalité des droits entre hommes et femmes, notamment la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la Constitution camerounaise de 1996, qui affirment l’égalité de droits sans distinction de sexe. Cependant, la réalité sur le terrain révèle que les femmes, en particulier dans certaines régions comme le Nord-Cameroun, sont confrontées à des inégalités notables, notamment en matière d'éducation. Ce texte explore la sous-scolarisation des filles au Nord-Cameroun et ses répercussions sur le développement local.
Le Nord-Cameroun comprend trois régions : l'Adamaoua, le Nord, et l'Extrême-Nord, dont les capitales sont respectivement Ngaoundéré, Garoua, et Maroua. Ces régions, malgré leur richesse en ressources naturelles, affichent un retard significatif en matière de développement par rapport aux régions du sud du pays. En 2001, une enquête révélait une incidence élevée de pauvreté dans ces zones, un constat qui se maintient au fil des années malgré les potentialités économiques de la région. La persistance de la pauvreté dans ces régions est en partie due à la sous-scolarisation des jeunes filles.
Les stéréotypes culturels jouent un rôle crucial dans la sous-scolarisation des filles au Nord-Cameroun. Dans ces communautés, des normes et des croyances culturelles profondément enracinées influencent la perception et la valorisation de l’éducation des filles. Ces stéréotypes se manifestent par des idées préconçues sur le rôle des femmes et des filles dans la société, telles que « la place de la femme est à la cuisine » ou « les filles qui prolongent leurs études n’auront pas de maris ». Ces croyances réduisent la priorité accordée à l'éducation des filles et favorisent leur retrait précoce de l'école.
Ces stéréotypes sont intégrés dans les pratiques sociales et familiales, où les filles sont souvent désavantagées par rapport aux garçons. Les familles privilégient l'éducation des garçons, considérant les filles comme devant se préparer davantage pour le mariage et les tâches domestiques que pour des études. Cette préférence se traduit par des taux de scolarisation faibles pour les filles.
La sous-scolarisation des filles au Nord-Cameroun est un phénomène complexe avec des implications variées :
Le faible pouvoir d’achat au Nord-Cameroun est un indicateur clé de la pauvreté dans la région. Cette incapacité financière affecte la capacité des ménages à couvrir les besoins essentiels tels que l'alimentation, la santé, l'éducation, et l'habillement. Cette situation est exacerbée par le faible niveau d'instruction de la population, qui limite les opportunités économiques et freine la capacité à entreprendre des activités génératrices de revenus. En milieu rural, les ménages sont souvent incapables de financer des améliorations dans leur cadre de vie, ce qui se traduit par une qualité alimentaire médiocre et une prévalence élevée de la malnutrition chez les enfants de moins de cinq ans. En 2019, la région de l’Adamaoua a affiché les taux de malnutrition les plus élevés du pays, et les régions de l’Extrême-Nord et du Nord présentent des prévalences de malnutrition aiguë dépassant 10%, en contraste avec environ 1% dans le Littoral.
En outre, les faibles ressources financières rendent difficile l’accès aux soins de santé appropriés. Une partie importante de la population se tourne vers des médicaments de la rue, souvent de qualité douteuse, pour soigner divers maux. Cette automédication, issue de la sous-scolarisation, pose des risques majeurs pour la santé communautaire et affecte la productivité générale.
Les conditions de vie dans plusieurs villes du Nord-Cameroun sont précaires, avec des quartiers souvent mal viabilisés et insalubres. La forte densité de population dans ces zones aggrave les problèmes d’insalubrité, tels que l’accumulation de déchets ménagers et les inondations fréquentes. Des quartiers comme Doualaré à Maroua et Souari à Garoua illustrent ces difficultés. La sous-scolarisation des filles contribue à un taux de natalité élevé, notamment dans l’Extrême-Nord où l'indice de fécondité est le plus élevé du pays, avec une moyenne de 6,8 enfants par femme. Cette forte natalité intensifie les problèmes d'insalubrité, puisque les infrastructures et les services publics sont souvent insuffisants pour faire face à l’augmentation rapide de la population.
Pour contrer la sous-scolarisation des filles, le Cameroun a mis en place plusieurs mesures et projets en collaboration avec des partenaires de la société civile. Parmi les intiatives notables, on trouve la ratification de plusieurs conventions internationales, telles que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ainsi que la mise en œuvre de la gratuité de l’école primaire publique. Cependant, malgré ces efforts, le gouvernement seul peine à atteindre les objectifs fixés.
Des projets spécifiques ont été lancés pour améliorer la scolarisation des filles, tels que le Projet PAM, l’initiative de l’UNICEF, et le Projet de la Banque Mondiale, qui visent à fournir des ressources éducatives et à améliorer les infrastructures scolaires. De plus, lors d’un atelier à Maroua en 2022, des leaders communautaires et des médias ont souligné la nécessité d’une action urgente pour remédier à la déscolarisation, particulièrement dans les trois régions septentrionales, qui comptent environ 6 millions de filles exposées à des risques de mariage précoce et de grossesses précoces.
Malgré la volonté politique affichée et les multiples initiatives, la réalité demeure préoccupante. Plus de trois millions de filles au Nord-Cameroun sont sous-scolarisées, ce qui nuit à leurs droits fondamentaux et freine leur potentiel de développement. Les efforts doivent donc être intensifiés pour assurer une scolarisation effective et inclusive, essentielle pour le progrès local et national.
En définitive, la présente étude a analysé la marginalisation de la jeune fille dans le système éducatif au Nord-Cameroun et son impact sur le développement local. Il en ressort, d’une part, que la sous-scolarisation de la jeune fille est un fléau aux multiples enjeux qui prend naissance dans un univers marqué par les normes culturelles et les stéréotypes. L’on retient d’autre part, que cette discrimination est un facteur de pauvreté, combattu par l’Etat ainsi que ses partenaires au développement. Pour optimiser les différentes actions publiques en faveur de la scolarisation de la jeune fille, il est essentiel de proposer d’autres pistes de réflexion.
Il est donc important de préciser que le véritable développement local est celui où les décisions sont prises le plus près possible des populations bénéficiaires et avec leur participation. Il privilégie l’organisation au niveau des communautés villageoises, quartiers urbains ou collectivités locales et favorise l’expression de la dynamique de toute la force endogène en s’appuyant sur cette énergie pour enclencher le processus et le mouvement du développement.
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