Il est un lieu commun de dire que la paix est essentielle au développement économique et social. Pourtant, l'Afrique, et notamment le Cameroun, peine souvent à progresser en raison des nombreux conflits internes et régionaux qui la déstabilisent. Historiquement et culturellement, les femmes ont joué un rôle crucial dans la résolution des conflits. Leur capacité à apaiser les tensions est souvent liée à des perceptions de douceur et de sensibilité associées à la féminité. Elles, qui donnent la vie, sont perçues comme les mieux placées pour en préserver la valeur.
Malgré cette reconnaissance dans la sphère privée, le rôle des femmes dans les processus de paix reste largement sous-évalué dans la sphère publique. Leur contribution est souvent invisible, car elle se manifeste en marge des structures formelles et institutionnelles. Les médias tendent à présenter les femmes uniquement comme des victimes de la violence, négligeant leur rôle actif dans les processus de pacification. En réalité, les femmes ont toujours joué un rôle actif, direct ou indirect, dans les conflits et les luttes armées.
Au Cameroun, la crise anglophone, débutée en 2016 et enracinée dans des tensions historiques liées à l'histoire coloniale et à la centralisation politique, est un exemple de ce défi. Malgré l'aggravation du conflit, les femmes n'ont pas attendu d'être invitées à participer officiellement aux négociations. Elles ont trouvé des moyens informels pour s'engager dans les processus de paix, utilisant leurs rôles traditionnels et leur position dans la société pour apaiser les tensions dans les régions touchées par le conflit.
Cette étude se concentre sur les méthodes non institutionnelles que les femmes utilisent pour contribuer à la pacification de la crise anglophone. En examinant les pratiques et les stratégies des femmes dans ce contexte, elle met en lumière leur rôle essentiel dans les coulisses des processus de résolution des conflits. L’analyse se base sur des enquêtes et des témoignages recueillis sur le terrain, en tenant compte du contexte socio-historique et socio-anthropologique spécifique. Le but est de comprendre pourquoi et comment les femmes jouent un rôle clé dans la pacification de la crise, malgré les limitations des cadres formels et institutionnels.
L’article examine ainsi la manière dont les femmes s’imposent dans les processus de paix et explore les répertoires d’actions qu’elles déploient pour contribuer à l’apaisement du conflit.
Face à une crise anglophone persistante, les femmes camerounaises ont trouvé des moyens innovants pour influencer les processus de paix, malgré leur exclusion des négociations officielles. Elles ont ainsi investi les coulisses de la pacification en s'appuyant sur des pratiques endogènes profondément enracinées dans leur culture et leur histoire.
Les pratiques endogènes, comme le souligne le concept de savoirs culturels spécifiques, sont des méthodes et savoirs qui émergent de l'intérieur de la société, à l'opposé des savoirs importés. Dans le contexte de la crise anglophone, ces pratiques incluent l'utilisation de rituels traditionnels et la mobilisation communautaire pour la paix.
Une des stratégies notables est le recours aux liturgies traditionnelles. Dans ce contexte, le terme "liturgie" englobe des actions solennelles et ritualisées à forte charge symbolique. Les femmes utilisent leur corps et des rituels ancestraux comme outils de protestation et de pression pour la paix. En Afrique, et particulièrement au Cameroun, la nudité a été historiquement employée comme un acte de révolte symbolique. Cette méthode, souvent perçue comme une malédiction pour ceux qui la voient, est utilisée pour choquer et faire entendre les revendications des femmes. Par exemple, en 2017, des femmes camerounaises se sont dénudées en public pour exiger leur inclusion dans les négociations de paix. Plus récemment, en 2021, des femmes ont également manifesté nues ou presque, suite à la mort tragique d'une fillette, pour protester contre les violences et appeler au cessez-le-feu.
En parallèle, les femmes mobilisent divers rites traditionnels, tels que les chants funéraires. Ces chants, associés à la douleur et au deuil, sont utilisés pour exprimer la souffrance des communautés et appeler à la paix. Lors de la visite d'un Premier ministre en 2019, des femmes ont exécuté des lamentations publiques à Bamenda, utilisant cette tradition pour attirer l'attention sur la crise. Les sociétés secrètes féminines, telles que les Anlu ou Takumbeng, jouent également un rôle crucial. Ces groupes, historiquement impliqués dans la gestion des conflits et des crises locales, continuent de mobiliser leurs traditions pour soutenir les initiatives de paix.
Au-delà des rituels, les femmes camerounaises s'illustrent aussi par leur capacité à mobiliser des réseaux et à mener des médiations informelles. En raison de leur présence dans diverses structures sociales, elles ont développé des réseaux d'influence importants, leur permettant d'intervenir dans les coulisses des négociations de paix. Elles s'impliquent activement dans les organisations de la société civile dédiées à la promotion du dialogue et de la réconciliation. Leur rôle est souvent déterminant pour sensibiliser les communautés locales et plaider en faveur de solutions pacifiques.
La diplomatie parallèle, souvent menée par des femmes au niveau local, a montré son efficacité dans la médiation de la crise anglophone. Ces médiatrices informelles utilisent leurs réseaux pour dialoguer avec les parties prenantes, y compris les groupes séparatistes et les autorités gouvernementales. Par exemple, en 2018, des femmes leaders ont réussi à convaincre les séparatistes de mettre fin à un boycott scolaire, permettant ainsi la réouverture de certaines écoles.
En outre, les femmes ont créé des organisations communautaires axées sur la paix et la résolution des conflits. Ces initiatives locales, souvent ignorées par les autorités officielles, jouent un rôle crucial dans l'apaisement des tensions. Les réseaux de paix locaux, tels que ceux créés lors de la convention nationale des femmes pour la paix en 2021, offrent des plateformes pour promouvoir le dialogue et la réconciliation. Lors de cette convention, qui a réuni 67 organisations de femmes, des initiatives de paix ont été mises en place pour favoriser la collaboration entre les différentes communautés, au-delà des divisions ethniques et sociales.
Enfin, les femmes anglophones se sont engagées dans des efforts de plaidoyer pour l'inclusion dans les processus de paix officiels. Elles utilisent divers canaux, tels que les campagnes médiatiques et les manifestations publiques, pour faire entendre leur voix. Leur mobilisation inclut également des réunions informelles avec les décideurs politiques et les leaders séparatistes, pour exiger une plus grande prise en compte de leur rôle dans les négociations.
Les femmes camerounaises jouent un rôle essentiel et souvent méconnu dans la pacification de la crise anglophone. En dépit de leur exclusion des négociations officielles, elles ont su mobiliser des pratiques endogènes profondément ancrées dans leur culture pour influencer les dynamiques de paix. Les rituels traditionnels, tels que la nudité symbolique et les chants funéraires, sont utilisés comme des outils puissants de protestation et de pression, mettant en lumière la souffrance des communautés et appelant à un retour à la paix. En parallèle, leur engagement dans des réseaux communautaires et leur diplomatie parallèle montrent une capacité remarquable à influencer les processus de réconciliation et de dialogue.
Leurs efforts de médiation, souvent menés en coulisses, et leur rôle dans les organisations de la société civile témoignent de leur détermination à apporter des solutions pacifiques aux conflits. Leur mobilisation, bien qu'informelle, s'avère cruciale pour ouvrir des voies de dialogue et promouvoir la réconciliation dans un contexte de crise persistante. En définitive, la contribution des femmes à la pacification de la crise anglophone illustre leur résilience et leur engagement envers la construction d'une paix durable et inclusive.
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