La reconstruction de l’image de l’Afrique est une quête cruciale pour ceux qui cherchent à promouvoir l'équité globale. Bien que l'art puisse sembler un choix improbable pour cette tâche, le riche patrimoine artistique de l’Afrique suggère le contraire. Explorer le rôle de l’art dans ce processus est pertinent car ce domaine, malgré ses multiples richesses, reste sous-exploré.
Souvent perçu comme une évasion ou un simple divertissement, l’art possède également une dimension sociale profonde. Il touche les sensibilités et nourrit l’imaginaire, offrant ainsi un moyen puissant de changer les perceptions. L’Afrique, dotée d’un vaste héritage artistique, peut utiliser cet art pour redéfinir les stéréotypes qui lui sont attachés.
L’Occident a souvent associé le développement exclusivement aux progrès scientifiques et technologiques, dépeignant l’Afrique comme un continent en retard qui doit suivre ses traces. En imitant ce modèle, l’Afrique n’a pas réussi à se libérer des préjugés coloniaux ni à réaliser son plein potentiel. La solution réside dans un développement autonome, notamment à travers l’art et la valorisation de ses jeunes talents. L’art peut donc jouer un rôle crucial en redéfinissant notre regard sur l’Afrique et en revalorisant son patrimoine culturel.
Le texte explore deux visions antagonistes de l’Afrique véhiculées par les penseurs européens. D’un côté, Thomas Hobbes décrit l’Afrique comme un lieu de danger perpétuel, dépourvu de civilisation et de raison, propice à la mort violente. À l’opposé, Jean-Jacques Rousseau imagine l’Afrique comme un âge d’or de liberté, d’égalité et de fraternité. Cependant, avec l’avènement de la colonisation et l’exploitation systématique, l’image hobbesienne l’emporte. L’Afrique est dépeinte comme un continent sans culture, sans liberté, et incapable de raison, justifiant ainsi des pratiques inhumaines telles que l’esclavage et la colonisation par des théories pseudo-scientifiques de la hiérarchisation raciale, popularisées notamment par Hegel et Kant.
Hegel décrit les Africains comme des êtres barbares et sans discipline, tandis que Kant les dévalue profondément en les comparant aux Blancs, jugés supérieurs dans tous les domaines intellectuels et artistiques. Cette vision raciste imprègne la pensée occidentale, justifiant l’exploitation économique et culturelle de l’Afrique tout au long de l’histoire moderne. Cette perception négative persiste à travers des clichés médiatiques qui réduisent l’Afrique à une terre de guerre, de violence, de famine et de corruption, occultant sa diversité et ses réalisations positives.
L’art africain a également été colonisé par l’Occident, étiqueté comme « primitif » ou « premier », séparé de son contexte culturel et historique. Cette appropriation culturelle reflète une fascination pour le sauvage et une réduction de la richesse artistique africaine à des objets d’exotisme dans les musées européens. Pourtant, la question de ce qui constitue réellement l’art dans les sociétés africaines et la manière dont ces objets sont perçus dans leur contexte d’origine reste centrale pour une décolonisation effective des représentations.
Face à la mondialisation culturelle qui uniformise les valeurs occidentales au détriment des cultures locales, Edouard Glissant propose la mondialité comme alternative, favorisant un dialogue respectueux et enrichissant entre les diversités culturelles. Cela exige une décolonisation des savoirs et une reconnaissance de la pluralité des esthétiques plutôt que leur évaluation selon les normes européennes.
L'art africain contemporain sert à la fois à déconstruire les préjugés racistes envers l'Afrique et à reconstruire une image authentique, débarrassée des empreintes colonialistes et néocolonialistes. Il met en lumière plusieurs artistes africains tels que Barthélemy Toguo, les jumeaux Ouattara, Frédéric Bruly Bouabré, ainsi que des écrivains comme Valentin-Yves Mudimbé et des penseurs comme Léopold Sédar Senghor et Souleymane Bachir Diagne, qui ont tous contribué à cette revalorisation culturelle.
Historiquement, l'art africain a inspiré des chefs-d'œuvre occidentaux, comme le cas célèbre de Pablo Picasso, qui s'est profondément influencé par les masques africains dans ses œuvres, comme "Les demoiselles d’Avignon". Cependant, une grande partie de l'art africain a été pillée, volée et déplacée vers l'Occident, suscitant des débats contemporains sur la restitution de ce patrimoine culturel africain. Des intellectuels comme Felwine Sarr et Bénédicte Savoy ont souligné cette prise en otage culturelle, appelant à une réévaluation radicale des collections occidentales.
Pour reconstruire une image juste de l'Afrique à travers l'art, il est crucial non seulement de restituer ces œuvres, mais aussi de reconnecter la diaspora africaine à ses racines culturelles et historiques. Cette démarche vise à rompre avec l'héritage néocolonial qui a souvent dénaturé et exploité l'art africain à des fins commerciales et exotiques.
L'art africain contemporain va au-delà de la simple esthétique ; il est un moyen de préserver et de perpétuer les traditions et les valeurs culturelles africaines. Les masques traditionnels, comme le Kanaga des Dogons ou l'Antilope des Bambaras, illustrent cette richesse spirituelle et culturelle, jouant des rôles clés dans les rituels funéraires et symbolisant la fécondité et l'abondance.
Les artistes plasticiens et sculpteurs modernes comme Ousmane Sow continuent cette tradition en utilisant leur art pour célébrer et immortaliser des aspects essentiels de la vie africaine, tels que la maternité et les liens familiaux profonds. De même, la mode africaine, représentée par des stylistes comme Collé Ardo Sow, utilise le textile traditionnel pour promouvoir et intégrer la culture africaine dans la scène internationale, tout en valorisant les savoir-faire locaux et en rompant avec les stéréotypes vestimentaires.
Le cinéma, à travers des films comme "Black Panther", a également joué un rôle crucial en remodelant l'imaginaire collectif de l'Afrique. Ce film iconique a présenté un monde fictif, le Wakanda, comme une utopie africaine technologiquement avancée et politiquement stable, contrastant fortement avec les récits négatifs courants sur l'Afrique. Il a non seulement captivé le public mondial, mais a également renforcé l'importance de l'africanité dans la culture populaire contemporaine.
En définitive, notre analyse révèle dans un premier temps un certain nombre de préjugés dont l’Afrique est victime. Il s’agit d’une image racialisée et erronée de l’Afrique, du Noir et l’art africain crée par l’Occident. Ce dernier en fait une terre où règnent les fléaux liés au sous-développement (insécurité, précarité, maladie, famine…), il qualifie le Noir de barbare et l’art africain de primitif. Ces idées dévalorisantes sur le continent noir nées depuis la période du commerce triangulaire persistent encore aujourd’hui. L’Afrique continue à être comparée à l’Occident. Celui-ci se pose comme le modèle à suivre et le centre autour duquel doit graviter les Autres.
Dans un second mouvement cette étude nous a permis de voir que l’art peut déconstruire des préjugés et réinventer une Afrique nouvelle. Puisqu’il agit sur l’imaginaire, alors il apparait comme un moyen pour déconstruire d’abord les clichés puis reconstruire ou réinventer une nouvelle image de l’Afrique en montrant ce qu’elle est réellement sans la comparer à l’Occident. L’art, plus exactement traditionnel, occupe une place essentielle en Afrique noire, car en plus de perpétuer la culture, il permet d’établir et de maintenir un lien avec le sacré. L’art africain est, selon nous, la vitrine à travers laquelle l’Afrique se réinvente, se reconstruit elle-même.