En Afrique, l’utilisation des réseaux sociaux a transformé les modes de communication et d’expression des jeunes, notamment les étudiants. Des plateformes comme Instagram, TikTok, Facebook, X, WhatsApp et Snapchat sont devenues des espaces incontournables pour le partage, la distraction et la création de liens sociaux. Cependant, cette hyperconnectivité révèle des défis croissants : de nombreux jeunes sont exposés à des contenus qui affectent leur perception d’eux-mêmes, souvent de manière négative. Malgré l’importance de cette question, la santé mentale des étudiants reste peu intégrée dans les politiques éducatives et numériques du continent.
« Il est urgent d’intégrer la santé mentale dans les politiques éducatives et numériques », affirme le Dr. Akwasi Osei, psychiatre ghanéen et ancien directeur du Ghana Mental Health Authority. La problématique se pose alors : les réseaux sociaux se contentent-ils de refléter les émotions des étudiants ou contribuent-ils à les amplifier, voire à les dégrader ? Cet article explore l’impact des réseaux sociaux sur le bien-être des étudiants africains et propose des pistes pour une meilleure prise en compte de la santé mentale dans l’environnement numérique.
Les réseaux sociaux comme lieu de construction identitaire.
Quand ils entrent à l'université, les jeunes cherchent à se construire. C'est une période pendant laquelle chacun cherche à affirmer son identité, à s'afficher tout en s'intégrant socialement. Dans ce contexte, les réseaux sociaux jouent un rôle central : ils deviennent des espaces numériques où chacun expose une version soigneusement filtrée de sa vie. On observe chez les jeunes une forte recherche de validation externe à travers les réseaux sociaux. Ils les utilisent massivement pour obtenir des signes d’approbation sociale : likes, commentaires, abonnements. Ces réactions deviennent peu à peu des indicateurs de valeur personnelle, créant une dépendance émotionnelle à l’attention numérique. Cette quête permanente de reconnaissance virtuelle peut nuire à la santé mentale. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 20 % des jeunes africains présentent des signes de détresse psychologique, souvent liés à une exposition excessive aux réseaux sociaux.
J’ai un ami qui ne lâche jamais son téléphone. Même en plein cours ou quand on discute, il est toujours sur Instagram ou TikTok. Il dit que ça le détend. On dirait qu’il vit plus en ligne que dans la réalité, affirme Tahirou Ouedraogo, 22 ans.
Une spirale de comparaison et d’anxiété
La comparaison sociale est un mécanisme naturel, mais sur les réseaux, elle devient constante et souvent toxique. Les étudiants comparent leurs résultats, leur apparence, leur vie sociale à des profils perçus comme plus populaires, plus beaux, plus accomplis. Cela peut nuire à l'estime de soi et renforcer un sentiment d'infériorité. « Trop d’enfants, de jeunes et d’adultes africains grandissent avec l’idée qu’ils doivent ressembler à quelqu’un d’autre pour être valorisés. » Blog KELétude, article sur l’estime de soi.
Ces réseaux sociaux créent souvent une pression sociale forte chez les jeunes, qui ressentent le besoin de ressembler à des modèles idéalisés pour être acceptés ou valorisés. Téné Tarnagna, 22 ans, étudiante en informatique « Je passe beaucoup de temps à regarder les profils des influenceurs. Leur vie semble parfaite, alors que moi, je galère avec mes études et mes problèmes personnels. Parfois, je me sens nulle, comme si je n’étais pas assez bien. C’est dur de ne pas se comparer. »
Des espaces de soutien mais aussi de solitude
Paradoxalement, alors que les réseaux sociaux sont souvent pointés du doigt pour leur impact négatif sur la santé mentale, ils peuvent aussi jouer un rôle positif en offrant des espaces de soutien. De plus en plus de jeunes y trouvent des groupes d’entraide, des pages de conseils ou des comptes dédiés à la sensibilisation autour des problématiques liées à la santé mentale. Ces plateformes permettent à certains étudiants de partager leurs difficultés, d’échanger anonymement et de se sentir moins seuls face à leurs souffrances.
En Côte d’Ivoire, la page Instagram @ÉtudiantsEnDétresse a été créée en 2022 pour recueillir anonymement les témoignages d’étudiants en souffrance. En deux ans, elle a reçu plus de 5 000 messages. Kevin, étudiant en informatique, raconte: « J’ai écrit à cette page parce que je n’osais pas parler à mes amis. Ça m’a soulagé, mais j’aurais aimé qu’on me réponde vraiment » (interview, septembre 2025). Les réseaux peuvent ouvrir la parole, mais ils ne remplacent pas l’écoute réelle, ni le contact humain, rappelle Dr. Fatou Diagne, psychiatre à Bamako.
Vers une éducation numérique et émotionnelle
Face à l’impact croissant des réseaux sociaux sur la santé mentale des jeunes, plusieurs établissements d’enseignement supérieur s’interrogent sur la nécessité d’intégrer des modules d’éducation numérique et de gestion émotionnelle dans leurs programmes. L’objectif est clair : permettre aux étudiants de développer une relation plus saine, plus critique et plus consciente avec le numérique.
À l’Université Joseph Ki-Zerbo, par exemple, des initiatives pilotes ont vu le jour, notamment à travers des ateliers sur le « bien-être numérique », animés par des psychologues et des spécialistes en communication. Le Pr Boukary Ouedraogo, sociologue à Ouagadougou, affirme : « Le problème n’est pas l’outil, mais l’absence de recul critique face à ce que les jeunes consomment sur les réseaux. Une éducation numérique permettrait de restaurer l’estime de soi, surtout chez ceux qui se construisent dans la comparaison constante. »
En Angola, on commence à mettre en place des actions pour aider les jeunes à mieux utiliser les réseaux sociaux, tout en prenant soin de leur santé mentale. Par exemple, le programme One World in Schools aide les élèves à réfléchir de manière critique à ce qu’ils voient en ligne.
Conclusion
Les réseaux sociaux sont à la fois miroirs et amplificateurs du mal-être étudiant. Ils reflètent des émotions, mais peuvent aussi les intensifier. Pour que ces outils deviennent des alliés plutôt que des sources de souffrance, il est essentiel de former les jeunes à un usage conscient, critique et bienveillant. Le bien-être étudiant passe aussi par une déconnexion choisie, une reconnexion à soi, et une valorisation de la réalité hors des écrans.
Références