«J’ai un diplôme, mais pas de travail. C’est comme si mes années d’études ne comptaient pas», confie Rodrigue, 26 ans, diplômé en économie à N’Djamena (entretien, juin 2025). Comme lui, des milliers de jeunes tchadiens et africains vivent une exclusion silencieuse souvent invisible mais bien réelle. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT, 2023), les jeunes Africains ont trois fois plus de chances d’être au chômage que les adultes. Cette exclusion économique n’est pas seulement une question de revenu, elle touche aussi à la dignité, à l’espoir, à la place que les jeunes peuvent ou non occuper dans leur société.
I- Des causes structurelles anciennes et persistantes
Le chômage des jeunes est lié à plusieurs facteurs structurels dont une croissance économique trop faible pour absorber l’arrivée massive des jeunes sur le marché du travail. Le Tchad comme de nombreux pays sahéliens, dispose d’une population très jeune, plus de 65 % des Tchadiens ont moins de 25 ans (INSEED, 2024) mais les politiques d’emploi ne suivent pas ce rythme démographique.
L’inadéquation entre formation et besoins du marché est également un problème central. De nombreux diplômés sortent d’universités ou de centres de formation avec des compétences peu adaptées à la réalité économique. Une étude de l’AUF (2023) montre que près de 68 % des jeunes diplômés africains estiment que leur formation ne les prépare pas suffisamment au monde du travail.
Enfin, l’économie informelle représente plus de 80 % des emplois au Tchad (BIT, 2023), ce qui rend difficile l’accès à des emplois stables, protégés et bien rémunérés. Les jeunes peinent à se faire une place durable dans ce système.
II- L’exclusion comme vécu social
Au-delà des chiffres, l’exclusion économique s’exprime dans les vécus quotidiens. Des jeunes diplômés contraints de retourner vivre chez leurs parents, des jeunes femmes renvoyées à des rôles traditionnels faute d’autonomie financière, des jeunes hommes qui migrent vers des zones à risque ou s’enrôlent dans des réseaux extrémistes faute de perspectives viables.
Cette réalité crée un sentiment d’injustice généralisé, comme le note le chercheur sénégalais Abdoulaye Touré: «Quand une société n’offre rien à ses jeunes, elle creuse sa propre tombe» (Afrique contemporaine, 2022).
III- Des solutions portées par les jeunes eux-mêmes
Face à cette exclusion, les jeunes ne restent pas inactifs. Beaucoup créent leur propre emploi, à travers l’entrepreneuriat local, des projets agricoles, numériques ou artisanaux. Le développement de l’économie verte, des énergies renouvelables et du numérique offre de nouveaux débouchés. Des coopératives étudiantes et collectives d’auto-formation se développent dans les quartiers périphériques de N’Djamena.
Par ailleurs, des initiatives d’incubation, comme le programme Tchad Innov Jeunes, soutiennent la mise en place de micro-entreprises. Mais leur portée reste limitée par le manque d’accompagnement financier et institutionnel à long terme.
Conclusion
L’exclusion économique des jeunes n’est pas une fatalité mais elle exige une réponse systémique, une réforme profonde de l’éducation, des politiques d’emploi inclusives et surtout une véritable reconnaissance du potentiel de la jeunesse comme moteur de croissance. Car tant que les jeunes resteront en marge, l’avenir du Tchad restera incertain.
Références
- OIT (2023). Rapport mondial sur l’emploi des jeunes.
- INSEED Tchad (2024). Bulletin démographique national.
- AUF (2023). Étude régionale sur l’employabilité des diplômés en Afrique francophone.
- Abdoulaye Touré, Afrique contemporaine, n°274, 2022.
- BIT Afrique (2023). Rapport sur l’économie informelle au Sahel.
- Programme Tchad Innov Jeunes (2024), fiche technique du projet.