Blog L'étudiant Africain

Portrait 5 : Juliana Rotich, La griotte du futur qui code en swahili

Rédigé par L’Étudiant Africain | Dec 27, 2025 11:20:08 AM

Dans la grande fresque des pionniers africains du numérique, le nom de Juliana Rotich résonne comme un écho tenace, celui d'une femme qui a su transformer l'urgence en innovation, puis l'innovation en mouvement continental. Ingénieure, entrepreneuse, militante technologique, elle incarne ce mélange rare de rigueur, de créativité et d'enracinement qui donne à l'Afrique ses plus belles trajectoires. 

Née en 1977, Juliana grandit à Nairobi avec un esprit curieux et un désir farouche de comprendre comment les machines pouvaient changer la vie. Elle étudie l'informatique à l'Université du Missouri aux États-Unis, mais jamais elle ne se laisse fasciner par la technologie pour sa beauté froide. Elle y voit un outil, un remède, un pont. Cette vision prendra tout son sens en 2007, lorsque son pays traverse une terrible crise post-électorale. 

Les informations se perdent, les rumeurs se propagent, la peur circule dans les quartiers de Nairobi comme une trainée de poudre. Juliana refuse l'impuissance. Avec trois autres jeunes Kenyans Erik Hersman, Ory Okolloh et David Kobia elle décide de créer Ushahidi, un mot swahili qui signifie "témoignage". 

La plateforme est révolutionnaire dans sa simplicité : cartographier en temps réel les incidents rapportés par les citoyens via SMS, email ou Internet. Une carte interactive où chaque point rouge signale une violence, chaque témoignage compte, chaque voix trouve un écho. Une idée presque artisanale, née dans l'urgence d'un appartement de Nairobi, mais d'une puissance historique. 

Ushahidi devient rapidement l'un des outils technologiques africains les plus influents au monde. Déployée pour gérer les crises en Haïti après le séisme de 2010, au Chili, en Inde, et même utilisée par les Nations Unies, la plateforme prouve qu'une innovation africaine peut avoir une portée universelle. Une femme kenyane venait de démontrer au monde que la technologie peut sauver des vies, renforcer la démocratie et porter la voix des populations fragilisées. 

Mais Juliana ne s'arrête pas à ce premier exploit. Avec son élégance posée et son humour discret, elle lance ensuite BRCK un routeur robuste surnommé "la sauvegarde d'Internet" conçu pour résister aux coupures d'électricité et aux régions où l'accès à Internet est un défi quotidien. Le BRCK ressemble à une brique orange, résistante, autonome, pensée pour les réalités africaines : électricité capricieuse, connectivité fragile, mobilité constante. 

"Si ça marche en Afrique, ça marchera partout", aime-t-elle répéter. Une intervention forgée dans les contraintes du continent, mais admirée bien au-delà de ses frontières. 

Dans un univers technologique où l'on parle souvent plus qu'on ne construit, Juliana Rotich construit. Elle bâtit des écosystèmes, des passerelles, des opportunités. Elle soutient inlassablement les jeunes filles qui hésitent à entrer dans la technologie, convaincue que la prochaine révolution numérique africaine sera féminine. Elle multiplie les conférences, les mentorats et les projets éducatifs, telle une griotte du futur qui raconte non pas ce qui a été, mais ce que nous pouvons devenir. 

Son style de leadership est doux, presque chuchoté, mais ses idées retentissent comme des tambours de guerre. "L'Afrique n'a pas besoin d'adopter des solutions venues d'ailleurs", martèle-t-elle dans les conférences TED où elle est régulièrement invitée. "Elle peut les créer, les exporter, les imposer." 

Juliana, miroir de la gent féminine africaine de demain 

Cette femme de 48 ans incarne la preuve vivante que les femmes africaines peuvent créer des technologies qui transforment l'humanité. Juliana démontre qu'une Africaine peut concevoir une innovation qui change le monde à l'image de Linda Silim Moundene avec sa plateforme l'Étudiant Africain. 

Son parcours enseigne que l'innovation peut naître d'une crise, d'un besoin urgent, d'un appel du peuple. Chaque situation dans la vie devient une opportunité pour grandir, pour répondre, pour bâtir. Les femmes peuvent être simultanément ingénieures, stratèges, militantes et bâtisseuses. Elles n'ont pas à choisir entre la rigueur technique et l'engagement social, entre l'excellence et l'empathie. 

Juliana prouve aussi que l'Afrique ne doit plus rester spectatrice de la révolution numérique. Elle doit en être l'auteure, la conteuse, la visionnaire. Les solutions nées ici, forgées dans nos défis quotidiens, peuvent servir le monde entier. Ushahidi en est la preuve éclatante : une technologie pensée pour Nairobi, utilisée aujourd'hui sur tous les continents. 

Reconnue par le Guardian parmi les 100 femmes les plus influentes de la tech en 2011, récipiendaire du prestigieux Prix Allemand pour l'Afrique, Juliana continue de porter haut la voix des innovateurs africains. Son message reste constant : "Nous ne sommes pas en train de rattraper l'Occident. Nous sommes en train d'inventer notre propre chemin." 

Conclusion 

Le parcours de Juliana Rotich rappelle à chaque jeune fille du continent qu'elle n'est pas destinée à regarder le progrès passer devant elle comme un train qu'elle aurait raté. Elle est destinée à le piloter, à en redéfinir la trajectoire, à y imprimer sa marque. 

Dans un monde où la technologie dessine l'avenir, Juliana nous murmure une vérité puissante : les femmes africaines ne demandent pas la permission d'innover. Elles créent, elles bâtissent, elles transforment. Une ligne de code à la fois. Une crise transformée en opportunité à la fois. Un témoignage "Ushahidi" à la fois. Et le monde, qu'il le veuille ou non, devra écouter. 

 

Références : 

  • The Guardian, "Top 100 Women in Technology", 2011 
  • Deutsche Welle, "Kenya: Juliana Rotich receives German Africa Prize" 
  • TechKnow Africa, "Kenya's Tech Crusader", 2025 
  • Profil LinkedIn de Juliana Rotich 
  • FactsReports, Entretien avec Juliana Rotich