Blog L'étudiant Africain

Que faut-il faire des hymnes nationaux d’Afrique noire francophone ? Réponse d’un linguiste

Rédigé par Esaïe MANDENG Ma BELL | Jul 29, 2024 9:30:00 AM

 

Les hymnes nationaux, symboles importants des États modernes, suscitent souvent des controverses, comme en France avec « La Marseillaise » ou en Algérie avec une réhabilitation controversée dans son hymne. En Afrique noire francophone, beaucoup d'hymnes, composés à la veille des indépendances, sont critiqués pour leur origine coloniale et leur précipitation. Des voix s’élèvent pour une réécriture, comme au Cameroun et récemment au Niger, où un nouvel hymne a été adopté en 2023. La question de refonte totale des hymnes doit toutefois respecter des préalables, notamment la consultation des peuples concernés. Actuellement, les hymnes sont peu connus des citoyens, souvent mal étudiés et méconnus des chercheurs spécialisés. La contribution vise à souligner l’importance des hymnes dans la vie nationale et à encourager les linguistes africains à les étudier davantage pour permettre un enseignement approfondi et une meilleure implication des citoyens dans les décisions les concernant. Les hymnes nationaux jouent un rôle crucial dans la vie politique et sociale des pays, et leur importance se manifeste à travers leur statut et leur fonction.

  

1. Statut des hymnes nationaux

Le statut des hymnes nationaux est souvent formalisé par la législation, certains pays les intégrant directement dans leur constitution. Des nations telles que la France, le Maroc, et le Burkina Faso, entre autres, consacrent leurs hymnes nationaux dans leurs textes fondamentaux. En France, depuis 2003, le code pénal protège l'hymne national contre le délit d'outrage, avec des sanctions pouvant aller jusqu'à 7500 euros d'amende et six mois de prison. D'autres pays, comme la Hongrie et la Chine, ont également mis en place des lois pour protéger leur hymne national. À Hong Kong, par exemple, la répression des outrages à l'hymne chinois témoigne de l'importance que le gouvernement accorde à ce symbole, malgré la particularité de la région.

Parfois, des litiges concernant l'hymne national surgissent, entraînant des débats juridiques. En 2023, à Madagascar, des élèves témoins de Jéhovah ont été exclus temporairement pour avoir refusé de chanter l'hymne national, ce qui a mené à une décision de la Haute Cour Constitutionnelle affirmant que cette exclusion était inconstitutionnelle. Des affaires similaires ont eu lieu ailleurs, comme en République Démocratique du Congo, où un pasteur a été arrêté pour avoir chanté un hymne ancien.

En outre, des mesures formelles sont souvent prises dans les institutions éducatives, sportives et administratives pour promouvoir l'usage des hymnes nationaux. En France, une loi de 2005 impose l'enseignement de l'hymne à l'école, et au Gabon, des élèves doivent assister à la levée du drapeau et chanter l'hymne chaque lundi matin. L'hymne national des États-Unis, "The Star-Spangled Banner", est chanté avant chaque compétition sportive, soulignant son importance patriotique.

2. Fonction des hymnes nationaux

Au-delà de leur statut légal, les hymnes nationaux remplissent une fonction plus profonde, souvent liée à des contextes de conflit ou de crise. Beaucoup d'hymnes nationaux sont nés dans des contextes révolutionnaires ou de guerre. "La Marseillaise", par exemple, a été écrite en pleine Révolution française, et "La Brabançonne" pendant la révolte belge contre les Néerlandais. L'hymne algérien a été composé pendant la guerre d'indépendance contre la France, et "The Star-Spangled Banner" a été inspiré par la défense américaine lors de la guerre de 1812.

Même après la fin des conflits, les hymnes continuent souvent de jouer un rôle dans les luttes politiques. "La Marseillaise" a été un symbole de résistance pendant l'occupation allemande de la France et après les attentats de novembre 2015. Les hymnes peuvent aussi être des instruments de division ou de manipulation politique. Par exemple, le "Ditanye" du Burkina Faso a été utilisé pendant l'insurrection contre le président Blaise Compaoré.

Certains hymnes nationaux tentent d'éviter les conflits en étant conçus de manière inclusive. En Afrique du Sud, l'hymne combine des chansons de différentes traditions culturelles pour refléter la diversité du pays. En Espagne et au Kosovo, les hymnes sans paroles ont été adoptés pour éviter les conflits linguistiques et ethniques.

Faut-il réécrire/changer les hymnes nationaux d’Afrique noire francophone ?

Les hymnes nationaux, en tant que symboles d'identité et d'unité pour les nations, méritent une attention plus approfondie de la part des chercheurs, surtout dans le contexte des hymnes francophones d'Afrique noire. Malgré leur importance évidente, ces hymnes sont souvent négligés par les chercheurs, notamment ceux en linguistique et en critique littéraire, qui pourraient offrir une analyse plus détaillée de leur dimension verbale.

L'importance des hymnes dans la vie nationale est indéniable, mais leur étude reste marginale. Les recherches se concentrent principalement sur l'historiographie et la musicologie, tandis que l'aspect littéraire et linguistique, crucial pour une compréhension approfondie, est fréquemment ignoré. Par exemple, les hymnes sont souvent perçus comme des œuvres de moindre qualité littéraire, ce qui contribue à leur sous-évaluation. Cependant, des auteurs renommés comme Seydou Badian, Léopold Sédar Senghor et Henri Lopès ont écrit certains hymnes d'Afrique noire francophone, ce qui souligne la nécessité d'une analyse plus sérieuse de leur dimension littéraire.

En ce qui concerne la question de savoir s'il faut réécrire ou modifier les hymnes nationaux, il est crucial de considérer le contexte historique et culturel des hymnes avant d'entreprendre des changements. Le cas du Niger est révélateur : l'hymne "La Nigérienne" a été remplacé en 2023 par "Pour l’honneur de la patrie" en raison de critiques sur son origine française, mais le nouveau texte n'a pas encore démontré une adhésion unanime. Le remplacement a été effectué dans un contexte politique instable, et il existe des préoccupations quant à savoir si le nouvel hymne sera mieux reçu que l'ancien.

Les arguments en faveur du changement d'hymne reposent parfois sur des critiques de la légitimité de l'auteur ou de l'obsolescence du texte. Cependant, ces arguments doivent être examinés avec prudence. Par exemple, le fait que certains hymnes aient été écrits par des étrangers ne devrait pas nécessairement entraîner leur rejet, surtout si les auteurs ont eu un impact significatif sur la culture ou l'histoire du pays. Les hymnes, comme les œuvres littéraires, doivent être évalués dans leur contexte historique et culturel pour comprendre leur signification et leur valeur.

Il est également important que les critiques littéraires et les linguistes s'impliquent dans l'analyse des hymnes nationaux. L'exemple de l'étude de "L’Abidjanaise" montre que des erreurs d'analyse peuvent mener à des conclusions erronées sur la qualité littéraire de l'hymne. Une analyse rigoureuse des textes permettrait de mieux comprendre leur valeur et leur impact. Le travail sur l'hymne camerounais, avec plusieurs études contradictoires, illustre la complexité et la richesse des hymnes nationaux, qui méritent une exploration plus approfondie.

Enfin, toute modification des hymnes nationaux devrait être précédée d'une analyse métatextuelle approfondie. La substitution d'un hymne ne devrait pas être basée uniquement sur des arguments superficiels ou idéologiques, mais sur une compréhension approfondie de sa signification et de son contexte. L'exemple d'Haïti montre qu'un changement d'hymne peut parfois aboutir à une œuvre littéraire moins riche, soulignant l'importance d'une évaluation minutieuse avant toute modification.

En somme, les hymnes nationaux francophones d'Afrique noire nécessitent une attention accrue des spécialistes en linguistique et en critique littéraire pour en révéler la richesse et la complexité. Une analyse approfondie pourrait éclairer les débats sur leur pertinence et leur évolution, garantissant que toute modification se fasse en connaissance de cause et avec un respect profond de leur valeur culturelle et historique.

Conclusion

les hymnes nationaux, en particulier ceux d'Afrique noire francophone, jouent un rôle crucial en tant que symboles d'identité et de cohésion nationale. Leur importance est souvent sous-estimée en raison du manque d'attention portée à leur dimension verbale par les chercheurs en linguistique et en critique littéraire. Bien que des voix se lèvent pour réécrire certains hymnes, notamment en réponse à des préoccupations sur leur légitimité ou leur actualité, toute modification devrait être précédée d'une analyse approfondie de leur contexte historique et culturel. Une étude rigoureuse de ces textes permettrait de mieux comprendre leur valeur littéraire et leur fonction dans la société. Il est impératif que les spécialistes en linguistique et en critique littéraire s'investissent davantage dans l'analyse des hymnes pour éclairer les débats sur leur évolution et assurer que les changements, lorsqu'ils sont nécessaires, se font en toute connaissance de cause et avec respect pour leur signification profonde.